Commentaires du bienheureux père Gabriele Maria Allegra sur l’œuvre Maria Valtorta

Gabriele Maria Allegra (1907-1976) est un prêtre, bibliste et linguiste franciscain. Il est connu pour avoir fondé l’institut biblique Studium Biblicum Franciscanum à Pékin (1945) puis à Hong-Kong (1948), ainsi que l’Étude Sociologique de Singapour (1960), pour être le traducteur de la première Bible complète en chinois à partir des textes originaux (de 1935 à 1968) et le rédacteur d’un dictionnaire biblique en chinois (1975). Il fut béatifié le 29 septembre 2012 sous le pontificat de Benoît XVI.

Il commence à lire l’œuvre de Maria Valtorta en 1961, à l’Index depuis peu. Il découvre alors la profondeur de ce texte qu’il commente dans divers textes :

  1. Des lettres (1965 et 1974),
  2. Un journal (de 1968 à 1970),
  3. Un rapport (juin 1970).

Les écrits du bienheureux père Allegra furent édités pour la première fois en septembre 1972 dans le Bolletino Valtortiano n°6, puis dans le n°29 de janvier-juin 1984, à l’occasion de l’ouverture de son procès en béatification. La première traduction française est parue en mars 2009 dans le n°217 de Chrétiens Magazine. Le journal et la critique furent mis en ligne sur le site maria-valtorta.org. Une seconde traduction fut effectuée en 2023 par Yves Dhorrer. C’est elle que nous reproduisons ci-dessous.

Nous employons le titre Le Poème de l’Homme-Dieu (devenu aujourd’hui L’Évangile tel qu’il m’a été révélé) pour désigner la vie de Jésus transcrite par Maria Valtorta, du fait que le père Allegra ne connut que ce titre.

(Vous pouvez également télécharger ces textes au format pdf ou vous les procurer en version livre de 44 pages.)

Extraits des lettres

Le 30 juillet 1965

Au Père Fortunato Margiotti, son confrère dans l’ordre des Frères Mineurs, sinologue, directeur de la revue Sinica Franciscana, publiée à Rome :

Ave Maria. Hong-Kong, le 30 juillet 1965

Très cher Fortunato,

Je voudrais me trouver ne serait-ce qu’un instant à Rome pour vous attraper les oreilles et les tirer aussi fortement que le jour où les cloches ont fondu, le matin du samedi saint ! Savez-vous que le Poème de Jésus m’a détourné des études de l’Écriture sainte ? Il me fait pleurer et rire de joie et d’amour. Mais je ne continue pas ! Je ne crois pas qu’un génie puisse aussi bien compléter le récit évangélique : le doigt de Dieu est là ! Rien à voir avec la Formgeschichtemethode [type d’analyse littéraire qui relève de la méthode historico-critique. Elle procède à l’étude des Évangiles synoptiques en fonction de leur « forme », c’est-à-dire selon le genre littéraire des textes qui les composent : une parabole, un récit, une prophétie, une parole (ou logion), etc.]. Je sens l’Évangile dans ce livre, ou mieux, le parfum enivrant de l’Évangile. Je suis même fier que tant d’hypothèses – mais non pas toutes – correspondent à celles que je m’étais formées dans ma tête saugrenue pour coordonner la vie du Sauveur. Mais je ne pourrai vous en parler que de vive voix. A mes yeux, ce livre est un acte de miséricorde divine pour l’Église, pour les âmes simples, pour les cœurs restés évangéliquement enfants. J’espère que l’éditeur diligent ajoutera dans le dernier volume un bel index, au moins des noms propres.

Et maintenant, cher Père Margiotti, puisque vous me faites commettre ce péché de négligence envers mon devoir, et puisque, ce qui est pire, j’ai bien envie de le commettre jusqu’au bout, hâtez-vous de m’envoyer tous les autres volumes. Si vous trouvez des renseignements biographiques sur Maria Valtorta, envoyez-les-moi aussi, car connaître le témoin explique beaucoup de choses. Noberto paiera : puisqu’il paie beaucoup de mes autre caprices, il devra d’autant plus le faire pour Le Poème de l’Homme-Dieu.

Je termine cette lettre, car je veux revenir au quatrième volume de cette Œuvre. Le Maître béni est irrésistible, et que sera-ce quand nous le verrons ?
Si je ne me convertis pas cette fois, je suis pire que Judas !

Présentez mes respects au cher Père Alessio ainsi qu’aux autres confrères de “Sinica Franciscanaˮ.

Je vous embrasse fraternellement,

Fr. Gabriele M. Allegra

Le 30 juillet 1965

A ce même Père Margiotti, qui lui avait procuré l’Autobiographie de Maria Valtorta :

Ave Maria. Hong-Kong, le 30 juillet 1965

Très cher Père Margiotti,

[…] Je vous remercie pour l’autobiographie de Maria Valtorta, qui occupe une place très à part dans les biographies des saints et des saintes que j’ai lues ; comme celle de B. Cellini, elle se distingue de tous les autres ouvrages similaires de notre littérature.
Cela fait de la peine de lire ce qu’elle écrit sur sa mère, et pourtant il me semble que c’est ce martyre intime, continu, accablant, qui l’a préparée à devenir le porte-parole du Seigneur Jésus. Le style me paraît plus varié et plus vigoureux que celui du Poème de l’Homme-Dieu, qui est néanmoins tellement frais et vivant.
En somme, cher Père Margiotti, je crois que vous êtes un instrument du Seigneur pour faire connaître cette âme et son message – un message tellement ample, aussi ample que l’Évangile !
J’espère que les éditeurs vont continuer à publier toutes les œuvres de cette âme virile dans son humilité, une âme qui fait souvent penser à sainte Catherine de Sienne.

[…] De nouveau, cher Père Margiotti, je vous salue et je vous prie de rester aux aguets en cas d’impression d’autres ouvrages de Maria Valtorta par l’éditeur Pisani.

Affectueusement dans le Christ,

Fr. Gabriele M. Allegra, ofm

Le 5 août 1965

À son oncle Gioacchino Guglielmino, curé de San Giovanni La Punta (Catania), de Hong-Kong, en date du 5 août 1965 :

Mon bien cher oncle,

[…] J’ai terminé ce matin la lecture des huit volumes de Maria Valtorta Le Poème de l’Homme-Dieu et j’avoue que, en dépit de certains points d’interrogations qui me venaient parfois à l’esprit en tant que théologien et exégète – sûrement sans grande importance, mais je dois dire la vérité – cette Œuvre m’a profondément ému. Il est certain qu’elle suscite chez tous un désir plus vif de méditer l’Évangile et qu’elle fait croître l’amour pour le Verbe de Dieu fait livre, comme disait Origène.
Comme plusieurs personnes m’ont demandé ce que je pense de ce poème, je me creuse la cervelle pour en publier une présentation sur quelque revue, peut-être La Crociata del Vangelo.
Si notre sainte Mère l’Église devait désavouer ce livre, puisqu’il s’agit de révélations privées, personne ne sera plus heureux que moi d’obéir : mais si, comme je le pense, l’Église le laissera dans les mains des fidèles, comme les révélations d’Anne-Catherine Emmerich et celles de la vénérable Marie d’Agréda, je suis sûr qu’il fera un bien immense.
Il manque encore deux volumes : l’histoire de la Passion et de la Résurrection ; la langue en est plus que digne et fascinante, et quand elle parle de la Sainte Vierge, on sent beaucoup de douceur, c’est un enchantement céleste.

Votre neveu très affectueux

Fr. Gabriele Maria

Le 29 août 1965

Au Père Mario Crocco, curé de Castellammare di Stabia (Naples), de Hong-Kong, en date du 29 août 1965 :

Très cher Mario,

[…] Je termine, mon cher Mario, en te conseillant de lire le volumineux mais fascinant livre de Maria Valtorta Le Poème de l’Homme-Dieu. C’est le Père Margiotti qui me l’a procuré. Le Père Pierraccini l’a acheté pour la Bibliothèque. Je t’assure que cet ouvrage nous rend plus proches du Seigneur et nous incite fortement à méditer l’Évangile. Je voudrais t’en parler plus longuement mais nolo per cartam et atramentum (je ne veux pas le faire en me servant de papier et d’encre, ndt.), du moins pour le moment.

Je t’embrasse fraternellement.

Bien à toi dans le Christ,

Fr. Gabriele Maria Allegra, ofm

Le 4 avril 1974

Au Père Leonardo Anastasi d’Arcireale (Catane), de Jérusalem, en date du 4 avril 1974 :

Révérend et très cher Père gardien,

[…] Il y a au couvent un cher Père missionnaire du Japon qui a traduit en espagnol les dix volumes du Poème de l’Homme-Dieu ; qui plus est, c’est un bibliste et il est en train d’étudier scientifiquement la géographie de l’Œuvre ; nous en parlons presque tous les jours. Il vit pour cette Œuvre, et je crois que la traduction espagnole doit faire du bien à une foule d’âmes, vu le grand nombre de locuteurs de cette langue : plus de cent millions. Et comme je suis habitué à rêver, j’imagine que si on pouvait en avoir une version en anglais, et d’autres en russe, en arabe, en chinois… ce serait une grande victoire sur Satan…
Bien respectueusement,
fr. Gabriele Maria Allegra

Le lundi saint 1974

A sa cousine, sœur Leonia Murabito, clarisse de Caltanissetta, de Jérusalem, en date du lundi saint 1974 :

Ma bien-aimée sœur Leonia,

[…] Je voudrais t’écrire, comme tu le souhaites, bien des choses sur Notre Seigneur vues par une personne qui vit sur terre, mais le temps me manque. Les retraites ou les confessions m’occupent constamment. […] Mais je te certifie que Le Poème de l’Homme-Dieu surpasse de loin toute description, pas seulement personnelle puisque je ne sais pas écrire, mais de tout autre écrivain.

Je me réjouis de constater que cette Œuvre est appréciée des Pauvres Dames de Caltanissetta, et en particulier de ma très aimée sœur Leonia. Je prie la Sainte Vierge qu’on arrive à la faire traduire en anglais, russe et chinois. La version espagnole est achevée… Ce livre fait grandir dans la connaissance et l’amour du Seigneur Jésus et de sa sainte Mère.

Je t’embrasse avec toute mon affection fraternelle et je vous bénis toutes.

Affectueusement,

Fr. Gabriele M.

Extraits du journal (notes manuscrites)

Macao, mardi et mercredi saint, les 9 et 10 avril 1968

Le Poème de l’Homme-Dieu de Maria Valtorta a été publié comme roman, et j’espère qu’à ce titre il pourra continuer à être imprimé à l’avenir, et souvent, mais ce n’est pas un roman. C’est le complément des quatre traditions évangéliques et leur explication.

Cette explication nous surprend parfois : elle paraît si nouvelle, si vraie et si énergique que nous sommes tous prêts à la négliger. Il s’agit de révélations privées, qui plus est faites à une femme ! Or nous autres hommes, et prêtres, nous savons bien imiter en cela les apôtres, qui appelaient délire de bonnes femmes la vision qu’elles avaient eue du Christ ressuscité. Certes, saint Paul exclut les femmes dans la liste des témoins de la Résurrection, mais les évangiles leur donnent au contraire une place prépondérante. Pourtant, tous les prêtres veulent en cela imiter saint Paul !

Vraiment, Le Poème de l’Homme-Dieu ne mérite pas d’être mis de côté avec cette assurance et cette suffisance qui caractérisent beaucoup de théologiens modernes. L’Esprit souffle dans l’Église et la comble de ses charismes. Or, à mon avis, c’est uniquement avec son aide qu’une pauvre femme malade, à la culture biblique limitée, a pu écrire en trois ans vingt mille pages [il s’agit en fait de 15.000 pages. Cette abondance n’est pas exceptionnelle. Sainte Véronique Giuliani (1660-1727), apôtre du Sacré-Cœur, écrivit 20.000 pages manuscrites] qui, une fois imprimées, équivalent à deux volumes. Et quelles pages ! Je note encore que certains discours du Seigneur, dont seul le sujet principal est mentionné dans l’Évangile, sont développés dans cette Œuvre avec un naturel, un enchaînement de pensée si logique, si spontané, si cohérent avec l’époque, le lieu et les circonstances que je n’ai jamais trouvés chez les plus célèbres exégètes. Citons seulement l’échange entre le Seigneur et Nicodème, et le discours sur le Pain de vie. Mais les exégètes disciples de la « méthode historique des formes » [La « méthode historique des formes et des traditions » est une école exégétique qui élargit l’analyse à une interprétation documentaire hypothétique. « Formes » désignant ici une unité de discours] ne s’humilieront jamais (!) à jeter un coup d’œil sur cette Œuvre, où tant de problèmes sont résolus avec une facilité merveilleuse et où tant de discours dont il ne nous reste malheureusement que le thème sont reconstitués.

Bref, je considère que cette Œuvre de Maria Valtorta mérite au moins l’attention que les théologiens ont accordée à la Cité mystique de Dieu de la vénérable Marie d’Agréda, aux Révélations de la vénérable Anne-Catherine Emmerich, et à celles de sainte Brigitte.

Personne ne pourra me faire croire qu’une pauvre femme ait pu écrire le Poème avec la seule aide de sa ferveur religieuse, et d’autant plus qu’elle n’a pas vu les différents tableaux ou scènes de la vie du Seigneur dans l’ordre chronologique, mais au contraire de façon décousue et sur un laps de temps de trois années.

Quel fut ce charisme, quelles furent ses dimensions ? Comment un instrument humain y a-t-il coopéré ? Qu’est-ce qui vient de l’Esprit à travers l’intelligence et le cœur d’une pieuse chrétienne, et qu’est-ce qui tient exclusivement au psychisme de Maria Valtorta ? Et pourquoi Jésus, dans l’hypothèse de visions surnaturelles, adopte-t-il le langage d’un théologien du XXe siècle et non celui de son temps ? A-t-il voulu nous enseigner ce qui se trouve dans l’Ecriture sainte et comment il faut l’exprimer de nos jours ? Voilà autant de questions qui méritent d’être étudiées et méditées avant d’exposer raisonnablement comment Le Poème de l’Homme-Dieu ne contredit jamais l’Évangile, mais le complète admirablement et le rend vivant et puissant, tendre et exigeant.

Une fois bien déterminées la nature du charisme de l’Esprit et la réalité de son action chez Maria Valtorta, quelle doit être l’attitude du chrétien à la lecture de ces admirables pages évangéliques ?

Il me semble que, pour qui a lu et étudié les documents de l’histoire des apparitions de Paray-Le-Monial [apparitions de Jésus-Christ à Sainte Marguerite-Marie Alacoque, de 1674 à 1684, date de son mariage mystique ; ces apparitions ont fondé la dévotion du Sacré-Cœur de Jésus], Lourdes, Fatima ou Syracuse [le 29 août 1953, au domicile d’Antonina et Angelo Ianusso, une reproduction en plâtre de la Vierge Marie versa des larmes humaines], la même conclusion pratique s’impose…

Personnellement, j’y crois avec le même degré de foi, et dans la mesure que le Seigneur Jésus et l’Église le désirent.

Jeudi Saint 1968

En plus des saintes femmes qui ont assisté à la crucifixion du Seigneur au Calvaire – les noms de quatre d’entre elles sont cités, mais plusieurs autres sont laissées dans l’anonymat [« Il y avait aussi des femmes qui regardaient à distance, entre autres Marie la Magdaléenne, Marie mère de Jacques le Petit et de Joseph, et Salomé, qui le suivaient et le servaient lorsqu’il était en Galilée, et beaucoup d’autres qui étaient montées à Jérusalem avec lui » (Mc 15, 40-41)] – saint Luc parle de certaines connaissances de Jésus (gnostoi) qui assistaient à sa mort à quelque distance de là [« Tous ceux de sa connaissance se tenaient à distance, ainsi que les femmes qui l’avaient suivi depuis la Galilée, pour voir tout cela » (Lc 23, 49)]. De qui s’agit-il ? On pourrait penser à Joseph d’Arimathie, à Nicodème, à Manaën, à Kouza, et à d’autres familiers de ces grands personnages d’un milieu social élevé.

Dans Le Poème de l’Homme-Dieu, Maria Valtorta ne se pose pas la question : elle reconnaît le groupe des douze bergers et quelques disciples. C’étaient des hommes et, tant que le condamné était torturé et que le supplicié était encore en vie, il était interdit à ses amis d’approcher du coupable. Seules Marie et les saintes femmes qui l’accompagnaient furent autorisées par le centurion à venir auprès de la croix, ainsi que Jean, qu’il prit pour le fils de Marie et le frère du condamné.

Macao, vendredi saint 1968

Selon Maria Valtorta (Le Poème de l’Homme-Dieu), les principales causes physiques de la mort de Jésus furent : 1) l’hémorragie avant la crucifixion, qui eut lieu durant l’agonie à Gethsémani, ainsi que la flagellation. 2) l’œdème pulmonaire. 3) la fièvre. 4) la tétanie. 5) et tout particulièrement la souffrance spirituelle due à l’abandon du Père. Durant cette épreuve ineffable, incompréhensible de l’Homme-Dieu, il ressentit en quelque sorte la séparation d’avec son Père comme un damné. Il devint véritablement le péché personnifié. Illum qui peccatum non noverat peccatum fecit ! Redempti enim estis pretio magno ! (Celui qui n’a pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché : car vous avez été achetés à grand prix ! [2 Co 5, 21 ; 1 Co 6, 20]).

Durant la passion et la mort du Seigneur, la Mère des Douleurs remplit sa mission de nouvelle Ève corédemptrice en acceptant de bon cœur la volonté du Père, en compatissant, comme elle seule pouvait le faire, à son Fils Jésus, en pardonnant et en priant pour les hommes, ses bourreaux.

Samedi saint 13 avril

Après la mort de Jésus et jusqu’au moment de la Résurrection, Marie fut corédemptrice par sa désolation.
La désolation de la Mère des Douleurs comprend une attaque directe et personnelle de Lucifer, puis de nombreux assauts contre sa foi en la Résurrection, enfin, pour elle aussi, l’abandon du Père.

Maria Valtorta décrit pendant deux longs chapitres ce qu’elle a vu et entendu pendant la nuit du vendredi saint, le jour du sabbat et la nuit suivante [cf. Valtorta 612 à 615].

Le peu que j’ai lu sur la désolation de Marie à ce sujet se borne à des généralités, qu’on ne saurait comparer aux pages puissantes et empreintes de tendresse de Maria Valtorta. Il m’est totalement impossible de croire qu’il s’agit là de la simple méditation d’une pieuse chrétienne : non, cette âme a vu et entendu !

Digitus Dei est hic ! (le doigt de Dieu est là).

30-31 juillet 1968

Il y a une justification théologique d’un livre aussi intense, aussi charismatique, aussi extraordinaire – ne serait-ce qu’au point de vue humain – que Le Poème de l’Homme-Dieu de Maria Valtorta : je la trouve dans 1 Co 14, 6, où saint Paul écrit : D’ailleurs, frères, si je viens chez vous et que je parle en langues, en quoi vous serais-je utile si ma parole ne vous apporte ni révélation, ni connaissance, ni prophétie, ni enseignement ?

Je trouve dans cet ouvrage de nombreuses révélations, qui ne sont pas contraires au récit évangélique mais le complètent au contraire [cf. aussi Mgr Laurentin, François-Michel Debroise, La vie de Marie d’après les révélations des mystiques – Que faut-il en penser ? ; Mgr Laurentin confirme qu’aucuns des récits de Maria Valtorta ne s’opposent à l’Évangile], ainsi qu’une science dans les domaines théologique (essentiellement la mariologie), exégétique, et mystique d’un tel niveau que, si elle n’est pas infuse, je ne sais comment une pauvre femme malade aurait pu l’acquérir et la maîtriser, même si elle était douée d’une intelligence exceptionnelle ; j’y trouve le charisme de prophétie au sens juste de la voix pour laquelle Maria Valtorta exhorte, encourage et console au nom de Dieu et, à de rares occasions, éclaircit les prédictions du Seigneur ; j’y trouve enfin l’enseignement, et cet enseignement est sûr. Il embrasse presque tous les domaines de la Révélation. De ce fait, il est multiple, immédiat, lumineux. S’il peut arriver que certains doutes effleurent mon esprit, en pensant à la complexité de cet enseignement, je me dis : je dois mieux y réfléchir, l’opinion de la voyante est aussi possible.

Mes doutes concernent en particulier ce qu’écrit Maria Valtorta sur le péché originel, sur l’appel des premiers apôtres, qui me paraît contredire l’évangile de saint Jean, et quelques passages du discours de Jésus sur le mont Thabor après la Résurrection et sur la colline dans les environs de Nazareth, enfin sur l’affirmation réitérée de Jésus d’être Dieu, Fils de Dieu et Messie. Si ces déclarations du Seigneur étaient vraies, comment expliquer l’ébionisme apparu précisément en Palestine [les ébionites formaient un groupe religieux judéo-chrétien marginal et primitif, divisé en divers courants. Comme l’arianisme, cette doctrine niait la divinité du Christ. Pour les ébionites, Jésus est simplement un homme qui, en raison de son observance de la Torah, a été choisi par Dieu pour être le dernier et véritable prophète qui annonce le Royaume de Dieu. C’est à son baptême qu’il aurait été adopté par Dieu. Cette doctrine fut en particulier combattue par saint Irénée de Lyon et saint Hippolyte de Rome] ? et le gnosticisme [le gnosticisme est une doctrine hérétique qui fonde le salut de l’homme sur une connaissance supérieure des choses divines, communiquée par révélation uniquement à des initiés, ainsi que sur un rejet de la matière, soumise aux forces du mal] ?

Il ne s’agit certes pas de difficultés insurmontables, je dis simplement que je ne suis pas encore parvenu à les surmonter.

Et comment le secret messianique (dans l’évangile de Marc spécialement) peut-il convenir parfaitement avec les fréquentes affirmations de Jésus qu’on peut lire dans le Poème de Maria Valtorta ?

Éclaire-moi, Seigneur, car je veux passer le peu de vie qu’il me reste à te connaître toujours mieux. Eclaire-moi, car ton serviteur veut se présenter à son Roi orné de lumière.

25-26 août 1968

Le Poème de l’Homme-Dieu m’impressionne toujours plus au point de vue littéraire, exégétique et théologique.

Littérairement, il n’est pas nécessaire de recourir à des dons surnaturels : l’extraordinaire intelligence de Maria Valtorta comme sa vive sensibilité suffisent à expliquer ce travail. Il ne faut cependant pas perdre de vue que l’écrivain n’a pas suivi l’ordre chronologique de la vie de Jésus, mais celui des visions que le Seigneur lui montrait.

Quant à l’exégèse de Maria Valtorta, il y aurait de quoi écrire un livre. Je me borne ici à réaffirmer que je ne trouve aucun autre ouvrage d’écrivains éminents qui puissent compléter et éclaircir les évangiles aussi naturellement, aussi spontanément, et avec autant de vivacité que le fait Maria Valtorta dans le Poème. Dans les évangiles, il est en permanence question de foules et de miracles, et les discours du Seigneur sont esquissés à grands traits. Dans Le Poème de l’Homme-Dieu, en revanche, les foules se déplacent, crient, agissent ; on assiste, pourrait-on dire, aux miracles. Les discours du Seigneur, et même ceux que leur concision rend plus ardus, deviennent d’une clarté solaire.

Ce qui m’émerveille le plus, c’est que Maria Valtorta ne tombe jamais dans des erreurs théologiques. Bien au contraire, elle rend les mystères révélés plus faciles pour le lecteur, en les transposant dans un langage populaire et moderne.

Certes, je ne suis pas convaincu par l’explication du péché originel, de l’appel des premiers Apôtres ; de l’identification de la Madeleine avec Marie de Béthanie, encore que sur ce point je me suis presque rendu en tant qu’exégète, de la chronologie de la vie de Jésus…, mais je ne peux pas prouver que les opinions admises par M. Valtorta dans son Poème sont erronées. Il se pourrait que je sois moi-même dans l’erreur, et avec moi quantité d’autres.

Il reste que je ne suis pas convaincu par l’explication du péché originel, par l’appel des premiers apôtres, par l’identification de Marie-Madeleine avec Marie de Béthanie – bien que sur ce point je me sois presque rendu, même comme exégète –, par la chronologie de la vie de Jésus… mais il m’est impossible de prouver que les opinions de Maria Valtorta dans son Poème sont erronées : je peux me tromper, et avec moi beaucoup d’autres.

Après les articles et les monographies de tant de disciples modernes de la Formgeschichte [critique formelle : étude des genres littéraires des récits composant les évangiles. Selon les conclusions de cette école, les récits évangéliques n’étaient pas contemporains du Christ (voir note suivante sur Rudolf Bultmann)] et de la Redaktionsgeschichte [critique rédactionnelle : méthode d’exégèse biblique allemande qui, dans les années 50, s’est attachée à étudier tout ce que les opinions du rédacteur auraient pu déformer dans ses écrits], le lecteur respire enfin l’atmosphère de l’Évangile et devient peu à peu l’un des membres de la foule qui suivait le Maître… et bien qu’il ne soit qu’un numéro, il est toujours plus chanceux que les exégètes bultmanniens ! [Rudolf Bultmann (1884-1976) est un théologien allemand luthérien, célèbre pour sa fondation de la « démythologisation » du Nouveau Testament (Manifeste de la démythologisation, 1941). Cela l’a amené à séparer le Jésus historique et le Jésus de la foi : pour lui, tout miracle dans l’évangile est tardif et légendaire. Le Jésus historique serait resté “incognitoˮ et n’aurait jamais fait de miracles.]

Des dons naturels et des dons mystiques harmonieusement unis, voilà qui explique ce chef-d’œuvre de la littérature religieuse italienne et peut-être, devrais-je dire, de la littérature chrétienne mondiale.

7-8 septembre 1968

La figure, les vertus, la mission de la Sainte Vierge ont été décrites par de nombreux saints, savants et âmes pieuses et elles le sont encore, mais aucun d’eux ne le fait avec la simplicité de Maria Valtorta dans son Poème de l’Homme-Dieu.

Elle a entendu et vu alors que la plupart des autres ont seulement pensé et médité. Mais c’est la vision sûre des dons de la très-sainte Vierge Marie qui me surprend le plus [en 1973, le P. G. Roschini, fondateur de l’université pontificale mariale (Marianum) écrivait en préface de son livre La Vierge Marie dans les écrits de Maria Valtorta : « Je me sens obligé d’avouer candidement que la mariologie qui se dégage des écrits publiés et inédits de Maria Valtorta a été pour moi une vraie découverte. Aucun autre écrit marial, pas même la somme de tous ceux que j’ai lus et étudiés, n’avait été en mesure de me donner sur Marie, chef-d’œuvre de Dieu, une idée aussi claire, aussi vive, aussi complète, aussi lumineuse et aussi fascinante, à la fois simple et sublime, que les écrits de Maria Valtorta »].

Les apôtres ont dû connaître la plénitude de la Révélation… plénitude que l’Église atteint en progressant continuellement, sous l’action de l’Esprit Saint.

Les dogmes que l’Église définit au cours des siècles – en particulier les dogmes mariaux – sont une affirmation solennelle de la foi des apôtres. Par un charisme ineffable, Maria Valtorta a été replongée dans la foi tendre, émouvante, spontanée, des apôtres, en particulier celle de saint Jean.

Samedi saint

Évidemment, à l’époque de sa vie mortelle Jésus n’a pas employé les termes théologiques venus ultérieurement, et il n’a peut-être pas développé la richesse céleste de sa parole, comme elle apparaît dans Le Poème de l’Homme-Dieu, c’est-à-dire comme il la fit voir et entendre à sa Maria Valtorta bien-aimée.

Comment expliquer ce fait ? Je répondrais ceci : après vingt siècles, Jésus répète et explique son Évangile en utilisant toute la terminologie théologique de son Église, pour nous dire que l’enseignement de celle-ci se trouve déjà implicitement dans son Évangile – M. Pouget aurait dit : de manière équivalente – et que cet enseignement n’est pas différent de l’explication faisant autorité et infaillible que l’Église donne et qu’elle seule peut donner, puisqu’elle est guidée et éclairée par l’Esprit Saint.

De son vivant, Jésus a déjà parlé plus clairement de certaines vérités, comme l’Eucharistie ou la dignité et la mission de la Vierge Marie, que ne l’a fait l’Église pendant des siècles, de sorte que le progrès dogmatique qui les concernent ‑ ainsi que d’autres vérités – est un retour à la plénitude de la source.

J’observe enfin que l’Œuvre de Maria Valtorta est une preuve de l’historicité des évangiles : ils sont bien un catéchisme, un kérygme, mais basé sur le témoignage de textes choisis et approuvés par Dieu. C’est tout autre chose que la Formgeschichte !

Résurrection du Seigneur

L’efficacité de la Parole de Dieu est conditionnée par la qualité du terrain où elle tombe. L’homme a le terrible don de la liberté, par laquelle il peut dire non même à Dieu.
Si l’on garde à l’esprit la parabole du semeur, la liberté de l’homme, et ma conviction que Le Poème de l’Homme-Dieu est l’Œuvre de Jésus d’abord et de Maria Valtorta ensuite, la réaction des lecteurs devant cette Œuvre s’exprime de la manière suivante :

  • L’Œuvre, ou le Poème, rencontre : des lecteurs distraits, des lecteurs honnêtes, des lecteurs pieux, des lecteurs critiques, parfois à l’extrême.
  • Le théologien et l’exégète devraient être en même temps honnêtes et critiques.

Les discours de Jésus dans la plaine de La Belle Eau (Le Poème de l’Homme-Dieu, II) explicitent le Décalogue. C’est par eux que Jésus entend parvenir à son objectif manifesté à de nombreuses reprises : ramener la Loi à sa plénitude primitive en la libérant des ajouts humains. Ces discours ne suivent pas l’ordre des Commandements, mais répondent aux besoins particuliers de quelques personnes présentes, besoins connus uniquement du Seigneur, puisqu’il n’est pas seulement le Fils de l’homme, mais aussi le Fils de Dieu.

Ce contact intime avec les âmes, qu’elles soient en situation de péché ou désireuses de rédemption, des hommes ou des femmes, des épouses trahies ou des mères déchirées par le comportement de leurs enfants, donne aux paroles du Seigneur un ton vivant, actuel, vibrant, qui résonne de nos jours encore.

Le Seigneur fit ses premières grandes semailles dans la plaine mélancolique de La Belle Eau, entre Jéricho et Jérusalem, au moment des journées mélancoliques de novembre à décembre, à la fin de la première année de la vie publique : il sema la Parole qui ne passe pas et ne meurt pas.

Jusqu’à quel point ces paroles du Seigneur rapportées par Maria Valtorta sont-elles authentiques ? Je ne saurais croire que la voyante ait inventé ou ajouté quoi que ce soit de sa propre initiative : non, elle reproduit ce qu’elle entend, comme elle l’entend.

D’un autre côté, nul ne peut nier qu’il y a une traduction de la parole du Seigneur dans le langage de l’Église d’aujourd’hui, ce langage riche et polymorphe de notre théologie, tel que des siècles de polémiques, de discussions et de prédications l’ont formé. Qui a fait cette version, qui est d’ailleurs double puisque, de 1943 à 1947, Jésus parlait en italien alors que, pendant ses années de vie mortelle sur cette terre, il s’exprimait en araméen, en grec et peut-être parfois en latin ? Et surtout pourquoi, lorsqu’il s’adressait à Maria Valtorta, s’est-il servi de notre langage théologique moderne ? Ce ne peut être que Jésus lui-même. Il a agi de la sorte, à mon avis, soit pour nous montrer que l’enseignement de son Église ne diffère pas de ses paroles d’alors, soit pour graver son Évangile éternel dans le cœur de nos contemporains. [Le Catéchisme de l’Église catholique, rédigé en 1992 (§67), soit 24 ans après ce texte, exprime la même pensée : « Au fil des siècles il y a eu des révélations dites « privées », dont certaines ont été reconnues par l’autorité de l’Église. Elles n’appartiennent cependant pas au dépôt de la foi. Leur rôle n’est pas « d’améliorer » ou de « compléter » la Révélation définitive du Christ, mais d’aider à en vivre plus pleinement à une certaine époque de l’histoire »].

De même que les discours de La Belle Eau expliquent la Loi, le discours sur la Montagne constitue un pas en avant : c’est la perfection de la Loi, soit en se référant à l’intention du divin et suprême Législateur, soit en la méditant à la lumière de l’Incarnation et de la Rédemption imminente.
Cette double série de discours est complétée par les conversations de Jésus avec les apôtres, par ses polémiques dans le Temple et à Jérusalem, ou sur les routes de Palestine, enfin par ses douces confidences célestes avec les apôtres, les disciples, et tout spécialement avec sa sainte Mère. Quelle œuvre, ce Poème ! Non, ce n’est pas qu’une pauvre œuvre humaine, le doigt de Dieu s’y trouve.
Dans Le Poème de l’Homme-Dieu, Mammon équivaut souvent à Satan, c’est l’un de ses autres noms. Je vois maintenant que Theodor Zahn [Theodor Zahn, ou von Zahn (1838-1933) est un théologien et bibliste protestant allemand. Il fut le chef de file de l’école conservatrice dans l’interprétation du Nouveau Testament sous l’angle de l’Histoire du Salut] est arrivé à la même conclusion dans son commentaire sur l’évangile de saint Matthieu, en se basant sur des raisons philologiques. Le Poème nous réserve de nombreuses surprises de cette sorte, ce qui confirme que nous ne trouvons pas face aux fantaisies d’une femme malade, mais bien en présence de la déposition d’un témoin – certes, un témoin seulement, mais tout à fait digne de foi.

Cette femme malade, avec une plume facile pour seul don naturel cultivé par des études littéraires moyennes, écrit en moins de quatre ans une Œuvre en dix volumes, dans laquelle elle fait revivre le milieu religieux, politique et culturel du 1er siècle et, ce qui épouvante les spécialistes eux-mêmes, raconte dans l’ordre la vie du Christ – mais cet ordre fut reconnu et établi après la fin des visions – complétant ainsi les évangiles sans jamais les contredire.

Parfois, c’est vrai, j’ai eu quelques doutes (et aujourd’hui encore) sur la manière d’expliquer, de dérouler, de suppléer au récit évangélique, mais il s’agit toujours de sujets ou de nœuds d’exégèse qui se prêtent à diverses interprétations.

Après les évangiles, je ne connais pas d’autre vie de Jésus comparable au Poème, de même que je ne connais pas d’autres vies de saint Pierre ou de saint Jean qui rendent de manière aussi vivante le caractère des deux saints apôtres.

Je cite cas deux-là parce que l’Ecriture en parle suffisamment, alors qu’on connaît peu de choses sur les autres apôtres en dehors de leurs noms. Or tous les caractères sont si bien décrits et si cohérents que nous nous trouvons devant un dilemme : soit l’auteur est un génie de la trempe de Shakespeare ou de Manzoniano [Alessandro Manzoni, écrivain italien (1783-1873)], soit elle décrit ce qu’elle a vu.

J’opte – ou plutôt je suis obligé de choisir – pour la seconde option.

Quant à la mariologie de cette Œuvre, je ne connais pas d’autre livre qui en possède une aussi captivante et convaincante, aussi ferme et simple, aussi moderne et en même temps aussi antique, tout en restant ouverte à ses progrès futurs [le vénérable père Allegra a ici la même exclamation qu’a eu, cinq ans plus tard, le père Roschini en préfaçant le livre La Vierge Marie dans l’œuvre de Maria Valtorta, mentionné plus haut].

De même – mieux, sur ce point surtout –, le Poème enrichit notre connaissance de la Sainte Vierge et, irrésistiblement, notre pauvre amour, notre tendre dévotion pour elle.

Si j’en viens maintenant au mystère de la compassion de Marie, il me semble que Maria Valtorta dépasse, par l’ampleur, la profondeur et la pénétration psychologique du cœur de la Vierge, saint Bonaventure [Bonaventure de Bagnoregio (vers 1220 – 1274)] et saint Bernardin [Bernardin de Sienne (1380-1444)] eux-mêmes. En était-elle capable sans avoir surnaturellement vu et entendu ?

Macao, le 8 janvier 1970

Il me plairait de voir Le Poème de l’Homme-Dieu traduit dans d’autres langues ; je suis sûr que, par cette lecture, beaucoup approfondiraient leur connaissance et leur amour du Seigneur Jésus. Je confie ce désir à sainte Claire et à M. Lucia Mangano.

Quelques « saintes morts » décrites ou mentionnées dans le Poème : la mort de saint Joseph, celle d’Alphée (l’époux de Marie, tante de Jésus), celles de Saul de Kérioth, de l’ancien berger Jonas, de saint Jean-Baptiste, de Lazare, d’Abraham d’Engaddi, de Jean d’En-Dor, du bon larron, de saint Étienne…

Veni, Domine Jesu !

Dans son tragique destin surgit une figure puissante et émouvante dans le Poème ; c’est Marie, femme de Simon, la mère de Judas, tellement aimée de Jésus. Aucun poète, aucun dramaturge n’a jamais imaginé un profil aussi robuste, aussi délicat et en même temps plein de compassion, que celui de cette malheureuse et douce femme.

Macao, le 9 janvier 1970

Les grands discours de Jésus dans Le Poème de l’Homme-Dieu s’inscrivent dans le milieu de vie et les circonstances, ce qui les rend plus spontanés et plus naturels.

Les discours de La Belle Eau semblent être l’explication véritable, authentique, du Décalogue ; le discours sur la Montagne est la charte du Royaume de Dieu ; les paraboles parsemées au fil du livre sont toujours ancrées dans quelque circonstance qui les a suscitées et qui aide à les comprendre profondément ; avec les grands discours de Jérusalem et les continuelles instructions données aux apôtres et aux disciples, tout cela fait du Poème un écrin de trésors célestes.

La manière qu’a Jésus d’expliquer l’Ancien Testament est remarquable : il l’applique toujours au présent, à l’ère messianique déjà en acte et en voie d’accomplissement.

Les discours des apôtres, notamment ceux de Pierre et de Jean, sont comme un écho de la pensée de Jésus… Je ne crois pas qu’il soit sage et juste de rester indifférent devant de tels trésors.

Janvier 1970

Souvenir émouvant : les noms de certains enfants amis de Jésus selon Le Poème de l’Homme-Dieu. Jésus était attiré par les enfants et il les attirait, c’est pourquoi il est impossible de dresser la liste de ses chers petits amis. Néanmoins, pour des raisons expliqués dans le Poème, certains sont dignes d’être particulièrement cités :

  • À Capharnaüm : Benjamin, Jeanne et son petit frère Tobie.
  • À Magdala : Benjamin.
  • À Corazeïn : Joseph le petit menuisier.
  • Et encore : Marie et son petit frère Matthias, adoptés par Jeanne, femme de Kouza, et surtout Marziam, l’enfant orphelin symbole, adopté par Pierre.

Nisi efficiamini sicut parvuli, non intrabitis in Regnum Caelorum : (si vous ne devenez pas comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux, Mt 18, 3).

Macao, le 11 janvier 1970

Les instructions données par le Seigneur dans le Poème ont beau être imprégnées des pensées et de la culture de l’époque, elles sont en harmonie avec l’enseignement de l’Église catholique de notre temps.

Tout en admettant que Jésus, le Verbe incarné, a pu parler ainsi, je préfère penser qu’il a répété son Évangile à Maria Valtorta à sa guise, c’est-à-dire en le modernisant, pour enseigner que la doctrine actuelle de l’Église constitue le même enseignement éternel. Voilà la raison, je pense, pour laquelle le Seigneur donne ces enseignements si vivants et actuels sur le trinôme chrétien – foi, espérance et charité ‑, sur la constitution de l’Église (bien qu’embryonnaire), sur les sacrements, et en particulier sur la mariologie, le célibat, le sacrifice de la nouvelle Alliance…

Conséquence pratique : je suis fils de l’Église ! Je suis dans la barque de saint Pierre !

Veni Domine Jesu !

Macao, le 12 janvier 1970

Selon Le Poème de l’Homme-Dieu, les instructions que Jésus a données à son cousin Jacques au sommet du mont Carmel (Valtorta, 258), sont complétées par le Sauveur lui-même dans le discours qu’il a tenu après la Résurrection, sur le Thabor (Valtorta, 634).

C’est à ce discours – où à cet ensemble de discours – que revient justement le titre de discours sur le Royaume de Dieu : Loquens de Regno Dei, o : Sermo de Regno Dei.

Le Seigneur se borne aux grandes lignes de son programme et laisse à l’Esprit Saint le soin de guider son Église, de l’éclairer et de la fortifier à travers les siècles et selon les besoins.

Quiconque se trouve dans la vraie Église du Seigneur est nourri de la parole de Jésus, éclairé par sa lumière, et mû par son Esprit.

Quelle gloire et quelle joie de pouvoir dire : je suis un fils de l’Église !

Macao, le 14 janvier 1970

Le discours du Seigneur aux disciples sur les œuvres de miséricorde corporelle et spirituelle (Valtorta, 275) est un complément du discours sur la Montagne. En d’autres termes, selon Le Poème de l’Homme-Dieu, le discours sur la Montagne insiste très spécialement sur les devoirs des fils envers le Père du nouveau Royaume, alors que le discours aux disciples met plutôt en exergue les devoirs de chacun envers ses frères.

Ces deux passages nous font sentir profondément et avec douceur combien le Royaume des Cieux est une famille, la famille de Dieu.
Vivre en enfant dans cette famille, dans cette maison, aimer et être aimé en tant que fils, voilà la sublime vocation du chrétien, de tout homme qui, par la foi, est né de Dieu.

Quotquot autem receperunt eum, dedit eis potestatem filios Dei fieri… ex Deo nati sunt ! (Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. Ils ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu ; Jn 1, 12-13).

Macao, le 16 janvier 1970

Pour citer les Ecritures et argumenter, Jésus, dans Le Poème de l’Homme-Dieu, s’adapte à la version italienne, même quand celle-ci diverge de l’original. Il doit y avoir une raison à cela. Je pense ceci :
Les divergences portent toujours sur des points secondaires ; les versions vraiment fidèles à l’original sont extrêmement rares, sinon inexistantes, mais nous disposons de nombreuses versions approuvées par notre sainte Mère l’Église. Or le Seigneur approuve cette manière de faire de son Église si bien que, pour citer ou argumenter, il emploie la version (celle du P. E. Tintori) qu’elle a approuvée et que Maria Valtorta utilisait. Si seulement les “docteurs tatillonsˮ se servaient de l’Ecriture sainte avec la même intention que Maria Valtorta !

La façon de faire de Jésus confirme une fois de plus combien l’autorité de l’Église est grande. Sainte Jeanne d’Arc disait qu’il n’y a pas de différence entre le Seigneur et l’Église… Que dire des contestateurs d’aujourd’hui ?

Macao, le 10 mars 1970

Le Nouveau Testament fait brièvement allusion à l’apostolat de Jésus en Samarie, mais ces quelques mentions renferment beaucoup de richesses, qui nous sont pleinement révélées par Le Poème de l’Homme-Dieu. Le succès de l’évangélisation de la Samarie dont parlent les Actes des Apôtres (Ac 8, 5-25) me paraît par conséquent évident. Disons du moins que le Poème me la rend plus naturelle, comme un événement attendu, étant donné le ministère de Jésus, sa miséricorde et ses miracles pour ces pauvres « frères séparés ».

J’ajoute que, parmi les nombreuses paraboles « ajoutées », les plus belles – hormis celles de l’Évangile – sont celles que le Seigneur a prononcées en Samarie.

La réaction des Samaritains au message du Seigneur en général fut plus sincère que celle des Juifs, car ceux-ci, à cause de l’envie et de la haine des hommes du Temple, se refusèrent à accueillir le Sauveur promis et attendu.

18 juin 1970 – Saint Ephrem

[Saint Ephrem le syrien, Diacre et Docteur de l’Église (✝ 373). On l’appelle « la harpe du Saint-Esprit. »]

Dans Le Poème de l’Homme-Dieu, il y a trois figures de voyants – pour le moment je n’en vois pas d’autres – dans la bouche desquels le Seigneur met sa parole, qui explique la vraie mission du Messie et le véritable caractère de son Royaume.

La première est Saul de Kérioth, mort sur la poitrine de Jésus ; la seconde est le lépreux samaritain, guéri en même temps que les neuf autres : la troisième est Sabéa de Beth-Léchi.
Le discours de Sabéa est plus long, plus complet, plus ardent.

À ces voyants authentiques qui rapportent les paroles de Dieu s’opposent les discours de certains possédés, pleins de haine, de blasphèmes, d’envie… ainsi en est-il de celui de Judas quand il fut surpris en train de voler les coffres-forts de Jeanne, femme de Kouza, et d’autres d’Elchias, de Caïphe ou de Doras… Le combat entre les ténèbres et la lumière ; le témoignage rendu à la lumière et le témoignage rendu aux ténèbres.

Depuis que j’ai lu et relu Le Poème de l’Homme-Dieu de Maria Valtorta, je n’ai plus aucun goût pour les romans biblico-évangéliques. Entre hier et aujourd’hui, j’ai lu The Centurion de L. Witbuley, une nouvelle qui aurait pu me passionner avant que je connaisse le Poème, mais dont le seul intérêt a été à mes yeux le style concis et pur, ainsi que la bonne connaissance des coutumes palestiniennes au temps de Jésus.

Dans la trame de ce roman, de nombreuses “conjecturesˮ ne me plaisent guère, en particulier la présentation de Judas et la description de sa trahison. Mais il ne m’est pas permis d’être trop exigeant, puisque je suis convaincu que Maria Valtorta « a vu », d’une manière que je n’arrive pas à m’expliquer vraiment, tandis que Willebery, tout comme Lloyd Douglas, L. De Wohl ou d’autres, ont seulement imaginé les pages de l’Évangile, en artistes plus ou moins talentueux.

Ne demandons pas aux apocryphes ce que seuls les évangiles peuvent donner.

L’Autobiographie de Maria Valtorta se détache des ouvrages similaires, même écrits par des saints. Elle est puissante et originale au point de me faire souvent penser à celle de B. Cellini par le style, robuste, vif et spontané.
C’est en outre un livre dramatique, car le drame tient à la nature des choses et des faits : le drame naît, dirai-je, du caractère de sa mère, dont le cœur n’avait malheureusement aucun sentiment d’épouse ou de mère. La description si vivante de cette femme égoïste pèse sur le lecteur et c’est avec peine qu’il lit les pages de cette fille qui devint le « porte-parole » de Jésus et qui écrivit Le Poème de l’Homme-Dieu. Quelle différence de caractère entre la mère et la fille ! Et quel héroïsme chez Maria ! Quelle épreuve, quelles croix, quel martyre du cœur !

La famille Valtorta est à l’inverse de celle de saint François. Dans cette dernière, si le père, Pietro di Bernardone [le père de François d’Assise, de son vrai nom : Giovanni di Pietro Bernardone], n’a pas compris son fils, sa mère, la douce Pica [Dona Joanna Pica de Bourlémont, issue de la noblesse provençale], a toujours su le faire. Dans la famille Valtorta, au contraire, le père aime et comprend sa fille, que sa mère ne comprend pas du tout et fait toujours souffrir.

Le cœur de cette femme est encore plus sombre que celui du Prince, père de la moniale de Monza, et on reste très amer à la lecture de ces pages parce qu’elles ont toujours été écrites – par obéissance évidement – par la fille.

Le style en est vigoureux et très enlevé, foisonnant et coloré ; il dépasse peut-être même celui du Poème de l’Homme-Dieu. Ces pages, riches de pensées et de profondeurs psychologiques, nous aident à comprendre la physionomie spirituelle du porte-parole de Jésus : Maria Valtorta.

[C’est dans le journal du Père Allegra qu’on a également trouvé le commentaire – que nous avons cité dans le chapitre précédent – de l’article paru en 1961 dans La Civiltà Cattolica. Il est écrit au jour le jour, aux dates des 27 et 28 janvier, puis des 5, 6, 8 et 9 février 1970 [le 1er juillet 1961, paraît dans la Civiltà Cattolica, une revue semi-officielle du Vatican rédigée par les jésuites, un article incendiaire contre les écrits de Maria Valtorta. L’article, anonyme, reprend le commentaire de l’Osservatore romano du 6 janvier et taxe Maria Valtorta « d’altération mentale ».

En outre, on a récemment trouvé dans les pages manuscrites d’un de ses cahiers, des « Notes bibliographiques qui peuvent être utiles pour la présentation du Poème de l’Homme-Dieu » et la liste de « quelques points à mettre en évidence » dans une « lettre ouverte » concernant l’Œuvre, en particulier des « questions d’exégèse ».]

Rapport sur l’œuvre de Maria Valtorta

[En juin 1970, profitant d’un séjour à l’hôpital de Macao, le Père Allegra écrivit un rapport sur l’œuvre de Maria Valtorta, dans l’intention de la présenter à d’éventuels traducteurs. Ce rapport ne sera publiée qu’après sa mort, à l’occasion de l’ouverture de sa cause de béatification. Dans la première partie, il retrace, de manière approximative, l’histoire de la rédaction de l’œuvre selon les renseignements tirés des publications de l’éditeur. Nous repoduisons ici seulemeny la seconde partie du rapport, qui est son analyse en tant que lecteur de l’œuvre.]

Le Poème de l’Homme-Dieu contient, ou plus exactement est une série de visions auxquelles l’auteure assiste, comme si elle en était contemporaine. Elle voit et entend ce qui concerne la vie de Jésus, à commencer par la naissance de Marie, advenue par grâce céleste dans la vieillesse d’Anne et de Joachim, jusqu’à la Résurrection et l’Ascension du Seigneur, et même jusqu’à l’Assomption de la bienheureuse Vierge au Ciel.

La voyante, étant auditrice, commence habituellement par la description du site de la scène qu’elle contemple. Elle rapporte les bavardages de la foule et des disciples puis, selon ce qu’elle voit et entend, elle décrit les miracles, elle relate les discours du Seigneur, ou les dialogues des personnes présentes avec lui, ou avec les disciples, ou encore entre eux. L’évocation de la vie de Jésus, de l’époque et de l’ambiance, sous ses aspects les plus divers – physique, politique, social, familial – est faite sans aucun effort. L’auteure rapporte ce qu’elle a vu et entendu. Son style ne se ressent pas de l’érudition que l’on remarque dans les plus célèbres vies de Jésus. C’est plutôt le compte rendu d’un témoin oculaire et auditif. Si Marie-Madeleine ou Jeanne, femme de Kouza, avaient pu voir de leur vivant ce que voit Maria Valtorta et l’avaient écrit, je pense que leur témoignage ne serait guère différent de celui du Poème. Maria Valtorta observait avec une telle intensité le lieu et les personnages de ses visions que quiconque s’est rendu en Terre Sainte pour des raisons d’études et s’est imprégné des évangiles par une lecture fréquente, n’a pas d’effort excessif à faire pour reconstituer les scènes.

Tout le monde sait qu’un romancier ou un dramaturge de génie est capable de créer des caractères inoubliables. Mais, des nombreux romanciers ou dramaturges qui se sont penchés sur l’Évangile comme source de leurs créations, je n’en connais pas un seul qui y ait puisé une telle richesse et ait su brosser avec une telle force et une telle douceur les personnages de Pierre, de Jean, de Marie-Madeleine, de Lazare, de Judas – lui et sa pieuse et tragique mère, Marie, femme de Simon en particulier ‑, et de tant d’autres encore (sans même parler encore de Jésus et de la Vierge Marie) que le fait Maria Valtorta, avec le plus grand naturel et sans le moindre effort. J’imagine que de nombreux lecteurs du Poème ont souvent interrompu leur lecture pour réfléchir et, comme M. Vinicio alors qu’il écoutait l’évocation de la Passion du Seigneur faite par saint Pierre à l’Ostrianum, ils se sont dit : « Cette femme a réellement vu ».

Les discours

Mais le plus impressionnant, à mes yeux, ce sont les discours du Seigneur. Il y a évidemment tous ceux de l’Évangile, mais développés, comme le sont bon nombre de thèmes qui, dans l’Ecriture, sont à peine esquissés ou tout juste mentionnés. On y trouve également bien d’autres discours dont l’Évangile ne dit rien, mais que les circonstances ont amené Jésus à prononcer. Ils sont construits comme les premiers ; c’est le même Seigneur qui parle, que ce soit en paraboles – le Poème contient une quarantaine de paraboles qui ne sont pas dans l’Ecriture ‑ , en prophéties, en exhortations, ou encore dans le style sapientiel en usage chez les rabbins de l’époque néotestamentaire. À côté des grands discours des évangiles ‑ comme celui sur la Montagne, celui de l’envoi en mission des apôtres, le discours eschatologique, ceux de la dernière semaine et de la dernière Cène –, le Poème en relate beaucoup d’autres : ils expliquent le Décalogue, les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles ou donnent des instructions spéciales aux disciples, aux personnes seules, à une assistance composée à la fois de juifs et de païens… Il y a enfin les discours sur le Royaume de Dieu ou plus clairement sur l’Église, tenus avant la Passion à la manière d’une conversation avec son frère/cousin Jacques sur le mont Carmel, et développés après la Résurrection devant les apôtres et les disciples sur le mont Thabor et sur une montagne de Galilée, dont le thème est résumé par saint Luc par cette simple phrase : « …il leur a parlé du Royaume de Dieu » (Ac 1, 3).

Si l’on considère ces discours sous l’angle de leur contenu, on y retrouve toute la foi, la vie et l’espérance chrétienne. Le ton et le style ne se démentent jamais, ils restent toujours les mêmes : clairs, forts, prophétiques, parfois empreints de majesté, ou encore débordants de tendresse. Prenons quelques exemples. Tous connaissent les difficultés des plus grands exégètes à situer et à expliquer dans leur contexte le dialogue avec Nicodème, le discours sur le Pain de vie, les discours de polémique théologique prononcés à Jérusalem : que d’efforts et quelle diversité de conclusions ! Dans le Poème, leur enchaînement est spontané, naturel, comme découlant logiquement des circonstances.

Les faits

Ce que je dis des discours vaut pour les miracles. Ils sont extrêmement nombreux dans le Poème, que l’Évangile regroupe en une phrase : « et il les guérissait tous » (Mt 8, 16). Il y a également certains faits auxquels ni les exégètes, ni les romanciers, ni les apocryphes n’ont pensé. Par exemple l’évangélisation de la Judée mentionnée par saint Jean (Jn 3, 22) au début du ministère de Jésus, l’apostolat miséricordieux du Seigneur en faveur des Samaritains, des pauvres, des paysans de Doras et de Yokhanan, des habitants du quartier de l’Ophel, les voyages incessants du Maître infatigable dans le territoire des douze anciennes tribus ainsi que la conjuration ourdie, de toute bonne foi par certains mais de mauvaise foi par la plupart, pour le proclamer roi, afin de le détruire plus aisément par la main des Romains, complot auquel Jean fait brièvement allusion (Jn 6, 14-15) ?

Et comment oublier la fidélité héroïque des douze bergers de Bethléem, les deux emprisonnements de Jean-Baptiste, ou les hommes convertis par Zachée le converti ? Citons également les personnes que Jésus sauva aussi matériellement, comme Syntica, Aurea Galla, Benjamin d’Hénon ; ou encore les dernières voix prophétiques du Peuple élu : Sabéa de Beth-Léchi, le lépreux samaritain guéri, Saul de Kérioth. Et les relations de Jésus avec Gamaliel, avec certains membres du Sanhédrin, avec un groupe de païennes de l’entourage de Claudia Procula (la femme de Pilate). Et puis l’histoire et la figure de Marie-Madeleine, de l’enfant Marziam, de chaque apôtre en particulier, dont le caractère s’imprime de manière indélébile dans le cœur de tout lecteur attentif, tout spécialement ceux de Pierre, Jean, Judas et de sa pieuse mais malheureuse mère ?

Le monde palestinien

Et que n’apprenons-nous pas sur la situation politique, religieuse, économique, sociale et familiale de la Palestine du premier siècle de notre ère, ne serait-ce que par les discours les plus humbles – peut-être même surtout par eux – relatés par Maria Valtorta, témoin oculaire et auditif ! Je dirais que cette Œuvre fait revivre le monde palestinien du temps de Jésus sous nos yeux, et les meilleurs comme les pires aspects du caractère du peuple élu – le peuple des extrêmes qui méprise toute médiocrité ‑ jaillissent avec force devant nous.

La révélation privée

Le Poème de l’Homme-Dieu se présente à nous comme le complément des quatre évangiles, et une longue explication de leur contenu. L’auteure illustre les scènes évangéliques. L’explication et le complément sont justifiés en partie par ces mots de saint Jean : « Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas écrits dans ce livre… » (Jn 20, 30), et “Il y a encore beaucoup d’autres choses que Jésus a faites ; et s’il fallait écrire chacune d’elles, je pense que le monde entier ne suffirait pas pour contenir les livres que l’on écrirait.ˮ (Jn 21, 25).

Mais je le répète : ce complément, cette explication, sont justifiés en partie ou en principe seulement, puisque, au point de vue historico-théologique, la Révélation est close avec les apôtres, de sorte que tout ce qui s’ajoute au dépôt révélé, même s’il ne le contredit pas mais le complète avec bonheur, pourra tout au plus être le fruit d’un charisme particulier, individuel, qui oblige à la foi celui qui le reçoit et ceux pour qui c’est une question de vrai charisme – ou de vrais charismes, qui dans notre cas seraient ceux de la révélation, de la vision, du discours de sagesse et des paroles de connaissance (cf. 1 Co 12, 8 ; 2 Co 12, 1…).

En somme, l’Église n’a pas besoin de ce livre pour mener sa mission salvatrice jusqu’à la seconde venue du Seigneur, de même qu’elle n’avait pas besoin des apparitions de la Sainte Vierge à La Salette, à Lourdes, à Fatima… Mais elle peut reconnaître tacitement ou publiquement que certaines révélations privées peuvent être utiles à la connaissance et à la pratique de l’Évangile ainsi qu’à la compréhension de ses mystères ; elle peut donc les approuver sous une forme négative, en déclarant qu’elles ne sont pas contraires à la foi, ou les ignorer officiellement en laissant aux fidèles la pleine liberté de se former leur propre jugement.

C’est sous cette forme négative qu’ont été approuvées les révélations de sainte Brigitte, de sainte Mathilde, de sainte Gertrude, de la vénérable Marie d’Agréda, de saint Jean Bosco, et de nombreux autres saints et saintes.

Comparaison avec d’autres œuvres

Quiconque commence à lire Le Poème de l’Homme-Dieu avec honnêteté d’esprit et application verra aisément l’immense distance qui sépare cette Œuvre des Apocryphes du Nouveau Testament, en particulier les Apocryphes de l’Enfance et ceux de l’Assomption. Il remarquera aussi combien elle est éloignée des révélations des vénérables Catherine Emmerich [elle ne fut déclarée bienheureuse qu’en 2004], Marie d’Agréda, etc. Dans les récits de ces deux voyantes, il est impossible de ne pas sentir l’influence de tierces personnes, influence qu’il me parait devoir totalement exclure de notre Poème. Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer la vaste et sûre doctrine théologique, biblique, géographique, historique, topographique… qui affleure dans chaque page du Poème, et les mêmes domaines dans les livres cités ci-dessus.

Je ne parle pas des ouvrages littéraires car, à ma connaissance, aucun ne couvre intégralement la vie de Jésus, à commencer par la naissance de la Sainte Vierge jusqu’à son assomption. Mais même si nous nous en tenons à la trame des plus célèbres, comme : Ben Hur [roman de Lew Wallace écrit en 1880 et adapté au cinéma en 1959], La Tunique [« The Robe », roman écrit en 1942 par Llyod C. Douglas et adapté au cinéma en 1953], Simon le pêcheur [« The Great Fisherman »], Le Calice d’argent [« The Silver Chalice » de Thomas B. Costain, 1952], La lance [« The Spear », roman écrit par Louis de Wohl, 1955]… ceux-là ne pourraient supporter la comparaison avec le plan de montage naturel et spontané vis à vis du contexte, des événements et des caractères de tant de personnages – une véritable foule ! [Plus de 750 personnages nominatifs ont été recensés. Un Dictionnaire des personnages de l’Évangile, selon Maria Valtorta est paru aux éditions Salvator (2012), Mgr René Laurentin, François-Michel Debroise, Jean-François Lavère] – qui constituent la puissante charpente du Poème.

Je le redis : c’est tout un monde qui revit, et l’auteure le maîtrise comme si elle possédait le génie d’un Shakespeare ou d’un Manzoni. Mais que d’études, que de veilles, que de méditations les ouvrages de ces deux grands n’ont-ils pas demandées ! Maria Valtorta, au contraire, et en dépit de son intelligence brillante et de sa grande mémoire, n’a même pas terminé ses études secondaires, elle fut affligée de diverses maladies et confinée au lit pendant des années, elle possédait peu de livres qui tenaient sur deux étagères de son armoire, elle n’a lu aucun des grands commentaires de la Bible qui auraient pu justifier ou expliquer sa surprenante culture scripturaire, mais elle se servait de la version populaire de la Bible du Père Tintori, ofm ; cela ne l’empêcha pas d’écrire les dix volumes du Poème de 1943 à 1947, en quatre ans !

Détails saisissants

Tout le monde sait combien de temps les érudits, en particulier les juifs, ont passé en recherches pour dessiner les différentes cartes de la géographie politique de Palestine, du temps des Maccabées jusqu’à l’insurrection de Bar Kokhba. Ils ont dû compulser un monceau de documents pendant plus de vingt ans : le Talmud, Flavius Josèphe, l’épigraphie, le folklore, les voies antiques… néanmoins l’identification de plusieurs localités demeure incertaine. Dans le Poème, en revanche, et quel que soit le jugement que l’on porte sur son origine, il n’y a aucune incertitude : quatre fois sur cinq au moins, les études récentes donnent raison aux identifications supposées dans l’Œuvre de Maria Valtorta, et je pense que ce nombre grandirait si des spécialistes voulaient étudier la question à fond. L’auteure voit les bifurcations, les bornes milliaires qui indiquent la direction, les cultures qui varient au gré de la diverse qualité du terrain, les nombreux ponts romains jetés sur les rivières ou les torrents, les sources vives dans certaines régions de Palestine, et sèches ailleurs. Elle note la différence de prononciation des habitants des différentes régions, et une multitude d’autres renseignements qui laissent le lecteur perplexe, ou du moins lui donnent à penser.

Une série de visions, parmi lesquelles le mystère de la naissance de Jésus, de son agonie, de sa Passion et de sa résurrection, est décrite avec des mots et des images célestes, avec une éloquence angélique, alors que d’autre part le mystère de Judas est mis en pleine lumière, ainsi que la tentative de proclamer Jésus roi, l’incroyance de ses deux frères/cousins, l’impression qu’il suscitait chez les païens, son amour pour les lépreux, les pauvres, les personnes âgées, les enfants, les Samaritains, et tout particulièrement son amour si ardent, si suave et délicat pour l’Immaculée, sa Mère.

Et qui, ne serait-ce que d’un point de vue humain, mais aussi par intérêt théologique, pourrait rester indifférent à la lecture des deux chapitres sur la désolation de Marie après la tragédie du Calvaire, qui nous révèlent comment la Corédemptrice a été tentée par Satan, comme l’avait été son Fils le Rédempteur ? La sublime théologie de ces deux chapitres peut être comparée aux nombreuses Lamentations de la Vierge.

Harmonie historique et doctrinale

Les exégètes, même catholiques, prennent les libertés les plus étranges et les plus audacieuses sur l’historicité de l’Évangile de l’Enfance et sur les récits de la Résurrection, comme si la Forme critique [« Formgeschichte »] et la Méthode de rédaction critique [« Redaktionsgeschichte methode »] remédiaient à toutes les difficultés, qui n’étaient d’ailleurs pas inconnues des Pères de l’Église. Vraiment, pour ne parler que de certains exégètes récents, Fouard [Abbé C. Fouard, auteur de Origines de l’Église. La vie de Jésus-Christ, 1927], Sepp [Johann Nepomuk Sepp, auteur de La Vie de Notre Seigneur Jésus-Christ, 1861], Fillion [P. Louis-Claude Fillion, auteur de Vie de Notre Seigneur Jésus-Christ, 1922], Lagrange [P. Marie-Joseph Lagrange, auteur de L’Évangile de Jésus-Christ, 1939], Ricciotti [P. Giuseppe Riciotti, auteur de La Vie de Jésus-Christ, 1947]… ont écrits des livres équilibrés et lumineux sur ces points difficiles, mais tout autres sont les maîtres à penser d’aujourd’hui, que même les nôtres suivent avec la plus grande confiance. Eh bien ! pour revenir à nous, j’invite les lecteurs du Poème à lire les pages consacrées à la Résurrection, à la reconstruction des événements du jour de Pâques : ils constateront comment tout y est harmonieusement relié – ce que tant d’exégètes qui suivaient la méthode théologique historico-critique se sont efforcés de faire, mais sans y parvenir pleinement. Bien loin de troubler les fidèles, ces pages réjouissent leur cœur et renforcent leur foi !

Langage

Mais il y a une autre surprise : cette femme du vingtième siècle confinée sur son lit de souffrance, devenue l’heureuse contemporaine et disciple du Christ, entend Jésus et les apôtres parler en italien, et un italien influencé par l’araméen. Certains moments qu’elle note soigneusement font exception, notamment quand ils prient en hébreu ou en araméen. En outre, quand le Seigneur, la Sainte Vierge ou les apôtres abordent des sujets tirés du Nouveau Testament, ils emploient le langage théologique d’aujourd’hui, autrement dit celui qu’a initié saint Paul, le premier grand théologien, et qui s’est enrichi au cours de siècles de réflexions et de méditations au point de devenir précis, clair, irremplaçable.
Le Poème nous révèle donc une transposition, une traduction de la Bonne Nouvelle annoncée par Jésus dans la langue de l’Église contemporaine. C’est bien lui qui a voulu cette transposition, puisque la voyante était démunie de toute formation technique théologique et cela, je pense dans le but de nous faire comprendre que le message évangélique annoncé actuellement, dans son Église d’aujourd’hui, dans notre langue moderne, est substantiellement identique à sa prédication d’il y a vingt siècles.

Le phénomène Valtorta

L’auteure reconnait fréquemment qu’elle n’est qu’un porte-parole, un phonographe, une femme qui écrit ce qu’elle voit et entend alors qu’elle est « crucifiée sur son lit ». Pour elle, le Poème n’est pas d’elle, il ne lui appartient pas. Il lui a été révélé, montré, elle n’a rien fait d’autre que de décrire ce qu’elle a vu et rapporter ce qu’elle a entendu, tout en participant aux visions de tout son cœur de femme et de pieuse chrétienne. Cette intime participation est à l’origine de l’antipathie qu’elle éprouve pour Judas comme, à l’inverse, de l’affection intense qu’elle ressent pour Jean, pour Marie-Madeleine, pour Syntica… sans parler du Seigneur Jésus et de sa très-sainte Mère, envers lesquels tout l’amour de son cœur s’épanche en paroles d’un lyrisme passionné, digne des plus grandes mystiques de l’Église.

Les dialogues et les discours qui constituent l’ossature de l’Œuvre trahissent, à côté d’une inimitable spontanéité (dans les dialogues), quelque chose d’antique et parfois de hiératique (dans les discours) : en somme, on sent une excellente traduction d’un dialecte araméen, ou hébraïque, dans un italien vigoureux, polymorphe, robuste. Il faut encore relever que, dans la structure de ces discours, Jésus, soit se situe dans la ligne des grands prophètes, soit s’adapte à la méthode des grands rabbins qui expliquaient l’Ancien Testament en l’appliquant aux circonstances contemporaines. Rappelons-nous le Pesher [méthode d’interprétation de la Bible dont on trouve plusieurs exemples écrits parmi les manuscrits de la mer Morte. Elle interprète les prophéties bibliques comme si elles se rapportaient à la période contemporaine. Elle actualise les textes de la Bible et donne une interprétation eschatologique des événements actuels] d’Habacuc trouvé à Qûmran et comparons-le avec le “pesherˮ que Jésus nous donne [documents trouvé à Qûmram dans la grotte n° 1, célèbre pour une phrase sur la foi dans le Maître de Justice, identifié par les commentateurs avec Jésus-Christ].

Comparons également les explications que fait le Seigneur de passages de l’Ancien Testament sur lesquels nous possédons tout ou partie des commentaires des rabbins du 3ème ou du 4ème siècle ; ils ont évidemment un style de composition traditionnel beaucoup plus ancien et probablement contemporain de Jésus : à côté d’une similitude dans la forme extérieure, on constatera une telle supériorité dans le fond, dans la substance, qu’on comprend pleinement pourquoi la foule disait : « Personne n’a jamais parlé comme cet homme ».

Un cadeau du Seigneur

Je considère que l’œuvre exige une origine surnaturelle, je pense qu’elle est le produit d’un ou de plusieurs charismes et qu’elle doit être étudiée à la lumière de la doctrine des charismes, tout en ayant aussi recours aux récentes études de psychologie et aux sciences affines que, bien sûr, les théologiens d’autrefois comme Torquemada [Cardinal Juan de Torquemada (1388-1468) ou Johannes de Turrecremata ; écrivain à ne pas confondre avec l’inquisiteur du même nom], Lanspergius [Jean Juste de Landsberg (1489 – 1539)], Scaramelli [Giovanni Battista Scaramelli (1687-1752)] ne pouvaient connaître.

Le propre des charismes est d’être accordés par l’Esprit Saint pour le bien de l’Église, pour l’édification du Corps du Christ. Et je ne vois pas comment on pourrait nier raisonnablement que le Poème édifie et réjouit les enfants de l’Église. Sans nul doute, la charité est la voie la plus excellente (1 Co 13, 1) ; il est bien connu que certains charismes qui abondaient dans l’Église primitive se sont raréfiés par la suite, mais il est tout aussi certain qu’ils ne se sont jamais complétement éteints. Au fil des siècles, l’Église doit donc continuer à discerner s’ils proviennent de l’Esprit de Jésus ou s’ils sont un masque de l’esprit des ténèbres travesti en ange de lumière : « Examinez les esprits pour voir s’ils sont de Dieu. » (1 Jn 4,1).

Sans anticiper le jugement de l’Église, que dès maintenant j’accepte avec une soumission absolue, et puisque le principal critère du discernement des esprits est la parole du Seigneur “Vous les reconnaîtrez à leurs fruitsˮ (Mt 3, 20) et que le Poème produit de bons fruits chez un nombre toujours croissant de lecteurs, je me permets d’affirmer que, à mon avis, il vient de l’Esprit de Jésus.

Père Gabriel Maria Allegra (OFM)